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L’accord d’Apple avec U2 dévalue-t-il la musique?

publié 09/18/2014

Par Howard Druckman

La semaine dernière, U2 a offert son nouvel album Songs of Innocence aux 500 millions d’abonnés et plus d’Apple iTunes gratuitement…du moins pour les utilisateurs d’iTunes.

Le New York Times rapporte qu’Apple a payé au groupe et à Universal Music une certaine somme (non précisée) et s’est engagé dans une campagne de marketing d’une valeur de plus de 100 millions de dollars afin de faire paraître l’album « gratuitement ». L’annonce en a été faite à l’occasion d’un événement d’Apple attendu mondialement, soit le lancement du nouvel iPhone 6 et de la montre Apple Watch.

Il est déjà clair que l’écoute de musiques contre paiement passe d’un modèle fondé sur la propriété (ventes matérielles sinon de téléchargements) à un modèle fondé sur l’accès (par diffusion en continu). Or, le modèle de la propriété paye les musiciens décemment, alors que le modèle de l’accès ne leur permet de toucher que des millièmes de cent par écoute. Il est également évident que les abonnés d’Apple seront ravis de télécharger l’album de U2 sans avoir à débourser un sou. Mais la perception de la valeur de la musique aux yeux du public ne pourra qu’en souffrir. Cette perception du public, qui n’a pas de prix, peut prendre des années à bâtir, alors qu’il suffit de quelques moments pour la détruire.

Lors du lancement, en parlant de l’album, Tim Cook d’Apple a annoncé sa « sortie gratuite sur iTunes », mais Bono a réagi rapidement en insistant sur le fait que « Vous allez devoir payer pour l’avoir ».  Dans une déclaration ultérieure, Bono, s’efforçant de mitiger la perception voulant que l’accord de U2 dévalorise la musique – a dit de l’album : « Apple l’a acheté pour en faire cadeau à tous ses clients amateurs de musique. C’est gratuit mais il y a eu un prix à payer. Parce que si personne ne paye quoi que ce soit, je ne suis pas sûr que la musique « gratuite » soit si gratuite que cela. Elle a habituellement un prix, tant pour l’art que pour l’artiste… ce qui a de grandes implications, pas vraiment pour nous de U2, mais pour les futurs musiciens… qui doivent gagner leur vie en écrivant [leur musique]. »

Mais si 500 millions d’abonnés d’iTunes n’ont rien à débourser pour télécharger et s’approprier le dernier album de U2 – sans doute le groupe actuellement le plus célèbre sur la planète – le message pour tout consommateur est qu’aucune musique ne mérite d’être payée. Si les consommateurs n’ont rien à débourser pour posséder le dernier album de U2, pourquoi auraient-ils à payer quoi que ce soit pour l’album d’un groupe de musiciens locaux ou les futurs musiciens auxquels Bono fait allusion? Même si U2 a touché de l’argent, son entente avec Apple tend à accréditer l’idée que la musique vaut de moins en moins pour le consommateur. Et tandis que la valeur perçue de la musique s’effondre, le potentiel de revenus des musiciens de partout s’effondre aussi.

Des rapport récents indiquent que certains disquaires et hauts responsables de l’industrie du disque considèrent que l’accord de U2 dévalue la musique. « Je ne suis pas sûr que ce cadeau soit bon pour notre secteur, » déclare le directeur d’une étiquette de disques. Un autre considère que cet accord fera du tort aux artistes moins connus, qui comptent sur les revenus de leurs ventes. Le rédacteur en chef David Farrell, dans un Commentaire paru dans le magazine canadien en ligne FYI, affirme que l’accord de U2 «  dérange de nombreux intervenants du secteur musical, car il consacre la mort de la valeur de la musique : Bono et son groupe… ont indiqué à leurs admirateurs qu’acheter de la musique est complètement dépassé ».

Il y a d’autres exemples récents de stratagèmes semblables contribuant à miner la valeur de la musique, comme une astuce de marketing par Jay Z (un million d’exemplaires « gratuits » aux acheteurs d’un téléphone Galaxy de Samsung contre un montant forfaitaire de 5 millions en 2013) et Radiohead (offrant leur disque In Rainbows en ligne en 2007 pour n’importe quel prix que l’acheteur décide de payer librement).

Lors de la sortie d’In Rainbows, le journaliste Will Hodgkinson, du journal britannique The Guardian, a écrit : « Pensez aux milliers de groupes et de chanteurs qui, loin d’être aussi célèbres et riches que Radiohead, n’auront désormais plus aucune chance de vivre de leur musique. » Remplacez Radiohead par U2 et vous pourriez affirmer la même chose aujourd’hui.

Qu’en pensez-vous?