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Si le Massey Hall m’était conté…

publié 11/3/2021

Par David McPherson

David McPherson, un collaborateur régulier du magazine Words & Music de la SOCAN, vient de publier son deuxième livre, Massey Hall (Dundurn Press, 2021), qui raconte l’histoire de la légendaire salle de spectacle de Toronto, vieille de 127 ans. Jouer dans cette salle a toujours été un rêve pour tous les musiciens canadiens. Quelques semaines après la rédaction de ces lignes et après des années de rénovations majeures, la salle rouvrira ses portes. Nous soulignons donc les deux événements en demandant à David de nous parler de quelques-uns de ses propres souvenirs de spectacles inoubliables au Massey Hall. Le livre est disponible ici et vous pouvez suivre David sur Twitter et Instagram, au @mcphersoncomm et @masseyhallbook sur ces deux médias.

Je n’oublierai jamais la première fois que j’ai quitté le trottoir de la rue Shuter à Toronto et que j’ai franchi ces trois portes rouges. La magie entre les murs du Massey Hall était palpable. Je l’ai ressentie immédiatement et elle ne m’a jamais quitté. J’ai ressenti l’esprit des artistes qui avaient franchi cette entrée et étaient montés sur cette scène historique au cours du siècle dernier. J’étais loin de me douter ce soir-là qu’un jour, j’écrirais un livre sur ce lieu emblématique et culturellement important. C’est avec humilité que j’ai eu le soutien et la confiance de l’équipe du Massey Hall et de mon éditeur (Dundurn Press) pour raconter cette histoire. Tout comme Hart Massey a fait don de ce monument vivant à la ville de Toronto en 1894, avoir le privilège de raconter l’histoire du bâtiment a été un honneur incroyable que je n’ai pas pris à la légère.

Depuis le premier concert que j’ai vu au Massey Hall (The Pretenders, le 1er mars 2000), je me suis assuré de communier régulièrement dans cette église de la musique au cours des années qui ont suivi. J’y ai vu d’innombrables spectacles, et chacun d’entre eux reste gravé dans mon esprit pour différentes raisons. Il suffit que je regarde le talon du billet pour que mon esprit s’emballe – des flashs de cette nuit reviennent, un sourire se dessine sur mon visage et, pendant un bref instant, je me perds dans la musique d’un autre souvenir au Massey Hall.

Pour une raison quelconque, je n’avais jamais vu de spectacle au Massey Hall avant de m’installer à Toronto à la fin des années 1990. Au secondaire, j’habitais à plus d’une heure de route, à Kitchener-Waterloo. J’ai assisté à la plupart des concerts que j’ai vus – dans ce que l’on considérait alors comme la « grande ville » – dans des salles comme le Maple Leaf Gardens, Exhibition Place au CNE, The Forum à Ontario Place et Kingswood Music Theatre à Canada’s Wonderland. Ce qui me frappe, c’est que tous ces lieux où j’ai vu certains de mes premiers concerts (The Who, The Rolling Stones, Steve Miller Band, Tragically Hip, pour n’en citer que quelques-uns) ont disparu, mais Massey est encore là. En soi, cela rend la Grande Dame de la rue Shuter d’autant plus unique.

Au secondaire, les concerts me permettaient d’échapper à mes pensées, de partager des moments musicaux avec mes meilleurs amis et d’être un adolescent, tout simplement. Par exemple, je me souviens avoir bu des bières alors que j’étais mineur au Golden Griddle avant un concert d’Iron Maiden au Maple Leaf Gardens. Bien que mon père et moi ayons assisté à de nombreux matchs des Maple Leafs aux Gardens pendant ma jeunesse, je n’aurais jamais même pensé aller voir un concert avec lui. J’ai appris à aimer Jimmy Buffett, Neil Young, Gordon Lightfoot et Joni Mitchell en fouillant dans sa collection de vinyles, mais la relation musicale entre mon père et moi s’est arrêtée là.

Quand j’ai reçu mon diplôme universitaire, le fossé entre nos goûts musicaux, qui avait déjà été aussi grand qu’une forêt, a rétréci. Nous avons trouvé des points communs et l’étape suivante était, logiquement, d’aller voir des concerts ensemble. Et on s’est gâtés! The Guess Who, The Chicks, The Eagles, CSNY et tant d’autres. . . Depuis, j’ai vu plus de concerts avec mon père qu’avec qui que ce soit d’autre, et beaucoup de ces concerts étaient au Massey Hall. Pas surprenant que je lui aie dédié mon nouveau livre sur le Massey Hall. On a vu Lightfoot. On a vu Daniel Lanois et Emmylou Harris. Jackson Browne en solo et aussi Bruce Cockburn. J’ai vu un de mes spectacles préférés de tous les temps, toutes salles confondues, au Massey en compagnie de mon père : la tournée Chrome Dreams II de Neil Young en 2007.

L’été dernier, le jour de mon anniversaire, j’ai reçu l’un des cadeaux les plus spéciaux – et les plus inattendus – de la part de papa : un siège à mon nom au Massey Hall fraîchement rénové avec l’inscription suivante : « David W. McPherson. Author (Massey Hall, Dundurn Press 2021). Music is the elixir of life. » Ce qui a rendu ce cadeau encore plus significatif, c’est que mon père a également acheté un siège pour lui juste à côté du mien avec la dédicace suivante : « Barry D. McPherson. Concerts Together, Forever. » Difficile de ne pas être ému quand j’ai ouvert ce cadeau. J’ai hâte de retourner au Massey Hall cet automne pour voir ces sièges, m’imprégner de la magie de ce lieu rajeuni et partager une autre soirée en musique avec mon père.

J’ai couvert de nombreux autres spectacles à Massey au fil des ans en tant que journaliste et critique musical, notamment Lucinda Williams, Barenaked Ladies, Loretta Lynn, Steve Earle et John Hiatt avec Lyle Lovett. Voir John Prine, mon auteur-compositeur préféré, pour la première fois (le 16 septembre 2006) a été une autre soirée magique.

Voici quelques autres spectacles marquants que j’ai vu avant la fermeture du Massey Hall pour des rénovations qui allaient durer trois ans et coûter des millions de dollars : Jason Isbell (29 août 2017), et la cérémonie du Panthéon des auteurs et compositeurs canadiens (23 septembre 2017), qui a vu Bruce Cockburn et Neil Young intronisés le même soir, avec Whitehorse, Blackie & the Rodeo Kings, William Prince, Randy Bachman, Ruth B et d’autres rendant hommage à ces légendes.

Puis les deux derniers spectacles avant la fermeture en 2018. Le premier fut un spectacle pour souligner le 124e anniversaire de la salle en juin durant lequel Whitehorse agissait comme orchestre maison pour des invités comme Buffy Sainte-Marie, Sarah Harmer, Sam Roberts et Jim Cuddy. La dernière fois que j’ai franchi ces trois portes rouges pour un spectacle, c’était le jour de la fête du Canada 2018, lorsque j’ai vu Gordon Lightfoot jouer dans son deuxième chez-soi, où il s’est produit plus de 165 fois.

Au moment d’écrire ces lignes, le Massey Hall rouvrira dans quelques semaines. Personne ne sera surpris que ce soit Gordon Lightfoot qui inaugurera la nouvelle salle avec une série de trois spectacles. J’ai hâte de voir Lightfoot rejouer dans l’emblématique salle de sa ville natale en compagnie de plus ou moins 2800 personnes sur la même longueur d’onde. Peut-être qu’on s’y croisera lors de ce spectacle ou d’un autre. D’ici là, longue vie à la musique « live » et au Massey Hall!

De plus à propos de David McPherson

Ne serait-ce pas merveilleux si CBC Music/Ici Musique diffusait la musique canadienne?

publié 03/18/2020

Par David Myles

Les textes publiés sur le blogue Musique. Monde. Conntectés. de la SOCAN reflètent les opinions de leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement les opinions de la SOCAN.

Je venais tout juste de terminer ma balance de son et je profitais d’un bon souper avant de monter sur scène lorsque le présentateur de la soirée nous a annoncé que le gouvernement du Nouveau-Brunswick avait interdit les rassemblements de plus de 150 personnes.

Notre concert a donc été annulé, tout comme le reste des spectacles qui étaient prévus au cours des deux prochains mois. Je n’étais pas le seul ; tous les musiciens que je connais se sont retrouvés dans la même situation. C’était partout.

Les tournées sont notre principale source de revenus. Sans cette source de revenus, toutes les autres sources de revenus prennent une importance capitale.

C’est en lisant les publications en ligne de tout ce monde que ça m’a frappé : et si CBC Music/Ici Musique ne jouait que des contenus canadiens au cours des deux prochains mois ? Ça semble une façon simple, directe et facile de faire une grosse différence.

L’infrastructure est en place pour que la SOCAN collecte ces redevances et pour que la CBC Music/Ici Musique programme de la musique 24 heures par jour.

Le mandat de la CBC Music/Ici Musique est déjà de soutenir la musique canadienne/franco-canadienne, de faire preuve d’engagement envers celle-ci et leurs animateurs aiment déjà notre musique. Diffuser des contenus canadiens 24 heures par jour pourrait faire connaître aux gens de la musique canadienne/franco-canadienne qu’ils ne connaissent pas encore.

Cela pourrait être bénéfique pour tous les artistes canadiens de tous les horizons, autant des musiciens qui ont dû annuler une tournée des clubs que quelqu’un comme Jesse Reyez qui allait assurer la première partie d’une des plus importantes tournées mondiales en compagnie de Billie Eilish. Imaginez à quel point elle était investie dans cette tournée avec tous les produits dérivés qu’elle a sûrement fait produire, par exemple.

Si la CBC Music/Ici Musique posait un tel geste, cela ferait une réelle différence dans la vie de plein de musiciens canadiens/franco-canadiens. C’est une opportunité incroyable.

C’est le moment ou jamais de soutenir notre communauté créative.

À propos de David Myles

Le coronavirus frappe l’industrie canadienne de la musique

publié 03/13/2020

Par Howard Druckman

Nous sommes un vendredi 13 et, hier, le Canada a lancé ses efforts les plus soutenus et malheureusement grandement nécessaires afin de répondre rapidement à l’intensification de la menace représentée par COVID-19, le coronavirus. Les JUNOs ont été annulés, la LNH a suspendu sa saison indéfiniment et le premier ministre Justin Trudeau s’est placé en isolation volontaire parce que son épouse Sophie Grégoire a testé positif pour le virus. L’Ontario a fermé toutes les écoles publiques pour une période de deux semaines après la semaine de relâche, la LMB a annulé son camp d’entraînement, les Canadian Folk Music Awards ont également été annulés, et plus encore.

L’annulation des JUNO, bien que nécessaire, a frappé particulièrement durement la communauté musicale canadienne. Les artistes en nomination ont perdu, du moins pour l’instant, leur chance d’être reconnus à l’échelle nationale pour leur travail, tandis que certains artistes moins connus qui devaient donner une prestation durant le gala télédiffusé ont perdu une chance en or de se faire connaître du grand public, sans parler de tous les artistes qui devaient jouer durant le JUNOfest qui n’auront pas la chance de se présenter aux membres de l’industrie dans les bars et les clubs de la ville hôte. Tout ça est sans parler des pertes immenses pour tous les gens qui œuvrent dans l’écosystème de l’événement — les employés des lignes aériennes, hôtels, bars, restaurants, compagnies de taxi, programmes de covoiturage, salles de spectacle, et ainsi de suite, de Saskatoon.

Mais pis encore, les regroupements intérieurs de plus de 250 personnes ont été interdits ou découragés, avec raison, afin de stopper la propagation du virus. Les deux prochaines semaines seront très difficiles pour les musiciens en tournée qui devaient jouer dans des salles de cette capacité ou plus. SXSW et Coachella ont également annulé leurs événements et d’importants promoteurs comme Live Nation, AEG Presents et Evenko ont annulé ou reporté leurs tournées. De nombreux artistes canadiens — de Glorious Sons à The Weeknd en passant par Devin Townsend et Jessie Reyez (qui assure la première partie de Billie Eilish) — ont dû reporter ou annuler certains de leurs concerts au moins jusqu’à la fin mars. Cela ne fait pas mal uniquement aux artistes, mais aux salles également, et l’onde de choc se fait sentir jusque dans les écosystèmes locaux.

Tout semble indiquer qu’un grand nombre de Canadiens vont demeurer à la maison au cours des prochaines semaines, tant pour se protéger que pour réduire la propagation du virus. Les petits rassemblements sont encore considérés sécuritaires dans la mesure où les mesures de précaution de base comme le lavage des mains et le maintien d’une certaine distance entre les gens sont respectées.

Je suggère donc, pour les deux prochaines semaines, que nous encouragions — avec prudence et de manière sécuritaire — les petites salles de spectacles où se produisent nos musiciens locaux qui sont ceux qui ont le plus besoin de nous en ce moment. J’habite à Toronto et il y a un grand nombre de ces petites salles : Tranzac Club, 120 Diner, Cameron House, Drom Taberna, Dakota Tavern, etc. Vous qui lisez ceci connaissez sans aucun doute les petites salles de votre ville qui ont besoin de votre soutien.

Si vous n’êtes pas à l’aise de sortir ou que vous avez vous-même dû vous isoler volontairement, je vous invite à vous rendre sur la page Bandcamp de votre groupe local préféré pour acheter un t-shirt, un exemplaire vinyle en édition limitée de leur album ou un autre achat qui mettra un peu d’argent dans leurs poches. Leonard Sumner, un musicien de Winnipeg, a eu une excellente idée qu’il a partagé sur Facebook ; il a demandé à ses fans de lui faire part de leur intérêt pour un concert sur Facetime. Peut-être blaguait-il à moitié, mais les « concerts virtuels » pourraient bien être une façon valide d’aider ces musiciens durant cette crise.

La musique vous aidera à vous calmer si vous êtes coincés chez vous pour une longue période. Si tout le monde écoute ou télécharge sa musique préférée à longueur de journée pendant plusieurs jours, cela se traduira par d’autant plus de redevances pour les auteurs, compositeurs et éditeurs de musique.

C’est à nous de soutenir nos musiciens de toutes les façons possibles afin qu’eux aussi puissent traverser les prochaines semaines, voire les prochains mois, en attendant que les choses rentrent dans l’ordre.

Marché de la diffusion en continu

publié 10/17/2019

Par Ed Henderson

En février 2007, convaincu que la diffusion par Internet ne serait jamais quelque chose de majeur, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) annonçait une ordonnance d’exemption (C-58) que l’on appelle désormais exemption numérique portant sur les contenus transmis par Internet. Cette exemption signifiait qu’Internet ne serait pas considéré comme un diffuseur et ne paierait donc pas de taxes. Les propriétés étrangères ne seraient pas soumises à la réglementation et il n’y aurait aucune obligation pour elles de mettre en vedette des contenus canadiens ni de contribuer financièrement, à l’instar de tous les autres diffuseurs, à la création de contenus canadiens.

Cela a permis aux diffuseurs Internet de rire tout au long du trajet qui les conduit à la banque.

Le gouvernement canadien reconnaît depuis longtemps que la proximité des États-Unis constitue une menace à notre existence culturelle. Depuis le tout début du 20e siècle, notre gouvernement cherche des façons de protéger l’unicité de la culture canadienne. En 1936, le gouvernement fédéral a adopté la Loi sur la radiodiffusion qui établissait un espace où les voix canadiennes pourraient être entendues partout au pays. Depuis 1957, le gouvernement canadien a réglementé la propriété étrangère des radiodiffuseurs canadiens afin de la limiter à 20 %.

La réglementation imposant des quotas de contenus canadiens à la télévision (adoptée en 1961) et à la radio (en 1970) ont permis de bâtir encore davantage notre culture à un point tel qu’à partir des années 70, les artistes canadiens ont pu jouir d’une véritable carrière au Canada alors qu’auparavant, la plupart devaient d’exiler pour espérer réussir.

Aujourd’hui, la présence de plus en plus dominante d’un Internet déréglementé signifie que l’histoire se répète. On voit de nouveau des artistes canadiens quitter le pays afin de lancer leurs carrières artistiques.

Le résultat net est que nous perdons des emplois dans tous les secteurs des arts et des médias. Nous perdons également des contenus et des programmes canadiens.

Mais les créateurs, interprètes et éditeurs canadiens ne sont pas les seuls touchés par un Internet déréglementé. À mesure que la diffusion par Internet prend de l’ampleur, les médias traditionnels du Canada ont également souffert : les journaux, la télé, la radio et le câble ont vu leurs revenus publicitaires diminuer année après année. Les revenus de la télévision conventionnelle sont passés de 1,984 milliard $ en 2011 à 1,411 milliard en 2018, c’est une diminution de presque 30 %. Cela s’est traduit par des pertes financières annuelles de 7 millions $ en 2012 pour atteindre 144 millions $ l’an dernier — un déficit total sur sept ans de 675 millions $. Les revenus de la radio commerciale ont atteint un sommet de 1,6 milliard $ en 2013 avant de retomber à 1,49 milliard $ en 2018, une diminution de 7 %.

Le résultat net est que nous perdons des emplois dans tous les secteurs des arts et des médias. Nous perdons également des contenus et des programmes canadiens.

Par ailleurs, ces pertes de revenus se traduisent également par une réduction des dépenses pour ces productions. Les producteurs ont moins d’argent pour payer les créateurs. Ces producteurs demandent de plus en plus les droits d’auteurs et les redevances qui leur sont dues — un effet secondaire sûrement inattendu de cette exemption numérique.

Pendant ce temps, les diffuseurs Internet — la plupart basés en Californie — engrangent des milliards de dollars. Les revenus des services de contournement (over-the-top services) sont passés de 115 millions $ en 2011 à 1,3 milliard $ en 2018 — une augmentation de 1130 % — et les prévisions sont de 2,351 milliard $ en 2022. La vaste majorité de ces revenus quittent le Canada.

Dans leur livre The Tangled Garden (publié chez James Lorimer & Company Ltd., 2019), Richard Stursberg et Stephen Armstrong proposent une solution toute simple à ce problème : abroger l’exemption numérique.

Je les cite : « La culture est un secteur d’une importance incroyable au Canada. Selon les chiffres du gouvernement, il représente près de 54 milliards $ par an et fait travailler 650 000 personnes. Cela signifie que ce secteur est presque deux fois plus gros que le secteur de l’agriculture, des forêts et des pêcheries combinés. Il représente le double du nombre d’emplois dans les secteurs des mines, du pétrole et du gaz. »

Stursberg et Armstrong décrivent de manière éloquente la vitesse vertigineuse des pertes du secteur culturel canadien : « À partir de 2010… une grande partie de ce qui avait été acquis a commencé à s’effriter. La puissante industrie des journaux a dû se battre pour sa survie et a congédié ses journalistes et fermé ses bureaux régionaux d’un bout à l’autre du pays. La très profitable industrie de la télévision a commencé à perdre de l’argent. Les navires de CTV, Global et CityTV, les puissances économiques du secteur des médias privé et les plus importants acheteurs d’émissions dramatiques et d’humour, prenaient l’eau dès 2012. Les secteurs des magazines et du cinéma ont également été entraînés dans le maelstrom créé par les FAANGS. »(Facebook, Amazon, Apple, Netflix, Google)

Il est urgent que le gouvernement intervienne.

Abroger l’exemption numérique ne coûtera vraisemblablement rien au gouvernement et aux citoyens canadiens. Selon Stursberg et Armstrong, « appliquer les taxes de vente, abolir les crédits d’impôt pour les filiales étrangères et éliminer le vide juridique entourant l’application de C-58 génèreront suffisamment d’argent » pour protéger les contenus canadiens dans le marché numérique.

« Ces mesures n’ont rien de nouveau ou d’étrange. Ce sont simplement une extension des règles qui ont, historiquement, guidé les industries de la radiodiffusion et des journaux. Elles exigent des FAANGs qu’elles se soumettent aux mêmes régimes fiscaux que les médias traditionnels, qu’elles effectuent les mêmes contributions pour la production de contenus canadiens et qu’elles respectent les mêmes normes de civilité et de transparence que les journaux et les radiodiffuseurs. »

 Il est urgent que le gouvernement intervienne. Les auteurs nous mettent ainsi en garde : « ces changements aux politiques… doivent être mis en place dès maintenant. La situation financière des médias traditionnels est si précaire qu’ils ne pourront pas tenir le coup encore très longtemps. »

Ces changements tout simples doubleraient pratiquement le soutien offert aux industries culturelles canadiennes en plus de générer des revenus fiscaux additionnels pour le Canada. Selon l’hypothèse de Stursberg et Armstrong, l’abrogation de l’exemption numérique et le fait de traiter les diffuseurs Internet en tant que tels — des diffuseurs — les 100 millions $ que Netflix a dépensés pour des productions canadiennes en 2017 auraient alors été de 230 millions $ et auraient représenté 320 millions $ en 2021.

L’Union européenne est passée à l’action. Elle a récemment adopté une loi visant à soutenir son économie culturelle florissante en appliquant aux diffuseurs Internet les mêmes réglementations auxquelles les radiodiffuseurs sont assujettis.

Le Canada doit lui emboîter le pas. Il faut traiter Internet comme le diffuseur qu’il est. Il faut le réglementer et exiger qu’il fasse sa part pour soutenir et diffuser les contenus canadiens.

L’existence culturelle du Canada en dépend.

Une version de l’éditorial d’Ed Henderson a été publiée dans l’édition du 15 octobre 2019 du Globe and Mail.

À propos d’Ed Henderson

Trois raisons pour lesquelles un membre SOCAN doit se réjouir

publié 09/16/2019

Par Diane Tell

1 – Drake est membre de la SOCAN.
Le titre d’un article qui commence par : « 3 raisons pour lesquelles » et se termine par le nom d’une super star est, je l’avoue, un peu racoleur, mais j’ai voulu attirer votre si chère et trop souvent volatile attention. C’est réussi non ? Vous connaissez la fameuse citation de Groucho Marx ? « Jamais je ne voudrais faire partie d’un club qui accepterait de m’avoir pour membre ». À l’inverse, jamais je n’hésiterais à faire partie d’une société à laquelle DRAKE accepterait de confier ses droits d’auteurs ! Avec ses 20 millions d’écoutes en moyenne par jour sur SPOTIFY, ses 19 millions d’abonnés et 7 milliards de vues cumulées sur YouTube, pour ne citer que 2 preuves de son immense succès, le jeune homme de Toronto aurait pu céder au chant des sirènes américaines pour toujours et pourtant, il est des nôtres. Sans avoir accès aux secrets du dieu du Rap, je peux induire qu’il y trouve son compte. Ce qui est bon pour DRAKE est bon pour moi et pour notre société tout entière.

2 – La SOCAN nous appartient.
J’écris « notre société », car la SOCAN est à nous. Ni une organisation gouvernementale, ni la propriété d’actionnaires, la SOCAN est une coopérative, c’est à dire, une société appartenant à ses membres, plus exactement un groupement économique fondé sur le principe de la coopération, dans lequel les participants, égaux en droit, sont associés pour un genre d’activité visant à satisfaire les besoins de travail ou de consommation en s’affranchissant de la domination du capital.  Le groupe Blackstone fit l’acquisition en 2017 de la SESAC, l’une des plus anciennes sociétés de gestion collective de droits d’auteur en Amérique, elle-même propriétaire de Harry Fox Agency (société de gestion de droits de reproduction mécanique fondée en 1927). Le saviez-vous ? Que mon petit fonds de commerce n’appartienne pas à l’un des plus puissants fonds d’investissement de la planète me convient parfaitement. Pas vous ?

3 La SOCAN, avocate du diable est dans les détails.
Au Canada, petit détail, le droit d’auteur dépend de deux ministères à priori diablement opposés : Patrimoine canadien et Innovation, Sciences et Développement économique Canada (ISDE). Afin de ne commettre aucune bévue, je me permets de citer les versions officielles de leurs missions à portée de tous sur le site du gouvernement du Canada. Patrimoine canadien et ses organismes du portefeuille jouent un rôle vital dans la vie culturelle, civique et économique des Canadiens. Les arts, la culture et le patrimoine représentent 53,8 milliards de dollars en activité économique et emploient plus de 650 000 personnes dans de nombreux secteurs d’activité tels que le film et la vidéo, la radiodiffusion, la musique, l’édition, les archives, les arts de la scène, les établissements du patrimoine, les festivals et les célébrations. Les lois sur le droit d’auteur et sur la radiodiffusion, d’après ce que l’on peut lire sur le site, dépendent de ce ministère. Oui, mais voilà… Le portefeuille de l’Innovation, Sciences et Développement économique se compose des ministères et organismes suivants : Agence canadienne de développement économique du Nord (CanNor), Agence de promotion économique du Canada atlantique (APECA), Agence fédérale de développement économique pour le Sud de l’Ontario (FedDev Ontario), Agence spatiale canadienne (ASC), Banque de développement du Canada (BDC), Commission du droit d’auteur Canada (CDAC) Etc… Ce ministère, toujours selon le site officiel, est également responsable de la Réglementation de la radiodiffusion et des télécommunicationsLicences de radiodiffusion, de distribution et de spectre, normes de télécommunications, certification et plus. Et plus vous dites ? Non merci. J’aimerais bien que l’on m’explique comment Monsieur Industrie et Madame Patrimoine arrivent à s’entendre sur la garde de leur progéniture : les contenus et leurs créateurs. Mais j’ai autre chose à faire. Des chansons à écrire, un spectacle à préparer, un post à publier sur Instagram… Je laisse les experts de la SOCAN jongler avec ce puzzle que j’appellerais « le paradoxe du contexte canadien du droit d’auteur ».

Je suis très fière d’être membre de la SOCAN et de son conseil d’administration pour ces raisons et beaucoup d’autres. La SOCAN est démocratique, paritaire, innovante et l’une des sociétés de gestion collective les moins chères du monde. D’audacieux outils sont déjà en place ou en cours de développement pour assurer une meilleure efficacité dans la collecte et la répartition de nos droits. Un nouveau portail destiné aux membres sera opérationnel d’ici la fin de l’année. Vous n’en croirez pas vos yeux ! Totalement métamorphosée par la révolution numérique, l’industrie de la musique peine à s’affranchir d’anciens modèles d’affaires. La SOCAN se réinvente constamment, s’investit à fond pour offrir de nouveaux services comme la gestion du droit de reproduction mécanique avec l’acquisition de la SODRAC pour point de départ. Je me réjouis de faire partie de la famille SOCAN. Et vous ?

À propos de Diane Tell

Les mille et un gages imprévisibles du succès d’une chanson

publié 08/7/2019

Par Patricia Conroy

Créer une chanson géniale n’est que le début.

Il faut l’acheminer à l’interprète qui lui donnera des ailes.

Puis il y a la magie qui se produit des fois en studio, un bon vendredi après-midi, avec un groupe de musiciens merveilleux et inspirés, qui “saisissent” la chanson du premier coup et lui donnent exactement le son qu’il lui faut.

Il y a aussi le réalisateur ou la réalisatrice qui le savait d’avance en sélectionnant ces interprètes.

L’ingénieur est génial, la chanson sonne juste.

Ensuite, grâce à un coup de chance, la chanson fait l’objet d’un single qui joue dans certaines stations de radio.

Puis elle tombe dans les oreilles de quelqu’un qui quitte la maison pour de bon dans sa voiture… ou de quelqu’un qui s’apprête à entrer dans une chambre de motel pour une rencontre illicite… ou d’une mère célibataire qui s’y raccroche parce qu’il ne lui reste rien d’autre.

Chacune de ces personnes s’attache à la chanson pour des raisons différentes, étranges et réelles, et, avant longtemps, ton œuvre prend son envol et commence à se hisser dans les palmarès.

Puis c’est le succès.

Tu attrapes ta guitare et écris une autre chanson.

L’écriture de chansons, c’est une passion, et, ces temps-ci, j’essaie de créer des choses qui ont une âme.

Certains jours, toutefois, la magie n’est pas au rendez-vous, et c’est une chose qu’on ne peut pas improviser.

Le secret est peut-être de ne jamais cesser d’aller au puits.

Écoute de la musique qui nourrit ta passion.

Les idées viennent de partout : une mélodie, une expression, un film, un panneau publicitaire, un autocollant aperçu sur la camionnette arrêtée devant ta voiture à un feu rouge…

Il faut chercher des histoires, en inventer. Continue de regarder et d’écouter.

Ralph Murphy m’a raconté un jour une anecdote concernant Harlan Howard. Il m’expliquait comment celui-ci se rendait presque tous les jours dans sa brasserie locale pour le 5 à 7, juste pour écouter les conservations des gens. C’est là qu’il a trouvé plusieurs de ses meilleures idées de chansons… dans la vraie vie, en écoutant du vrai monde.

La chanson géniale, c’est là qu’elle commence. Bonne chance, et amuse-toi bien!

Ce qu’on ne ferait pas pour enregistrer un album

publié 07/29/2019

Par Lisa Patterson

Avez-vous déjà fait quelque chose de radical pour financer un album ? Moi, oui. Je partage mon histoire publiquement pour la toute première fois.

On m’a offert un contrat de trois mois comme saxophoniste dans un groupe à Dubai. En tant qu’auteure-compositrice qui joue du matériel original, je n’aurais d’ordinaire pas considéré une telle offre, mais j’avais besoin d’argent pour financer mon prochain album. C’était d’autant plus attrayant que le contrat se déroulerait dans un pays désertique alors qu’au Canada, ce serait l’hiver, que toutes mes dépenses étaient payées et que je passerais trois mois à jouer des classiques du répertoire soul avec un groupe de musiciens hors pair. Un contrat de rêve, non ? Ça l’était, jusqu’à ce que la dure réalité nous rattrape et que le consul général du Canada doive sortir le groupe de prison.

Notre scène se trouvait dans le Ramada Continental Hotel, l’une des dizaines d’hôtels de Dubai. Les clients étaient un mélange d’entrepreneurs expatriés, d’habitants du pays, de touristes et de prostituées. Chaque musicien avait sa propre chambre spacieuse dans l’hôtel – notre chez-nous pour les trois prochains mois. Ma chambre avait un coffre-fort où j’ai caché mon passeport, mon billet d’avion et mes cachets en devises américaines.

Après un mois, certaines difficultés ont commencé à se manifester. L’hôtel a commencé à limiter la nourriture que nous pouvions consommer, nous faisait payer nos breuvages durant nos prestations et interrompait le service téléphonique dans nos chambres. Je recevais régulièrement des propositions de voitures ou de bijoux en échange de faveurs sexuelles. Les clients-spectateurs manifestaient ouvertement leur racisme et leur classisme. Nos prestations étaient longues et toujours pareilles, et ce, six soirs par semaine.

En raison des tensions grandissantes entre l’hôtel et les membres du groupe, nous avons demandé à notre agent de spectacle de nous trouver une autre salle pour le dernier mois du contrat, ce qui fut fait. Contractuellement, toutefois, nous avions le droit de continuer d’habiter le même hôtel. La nouvelle salle était à 20 minutes en voiture, donc chaque soir, une minifourgonnette venait nous chercher pour nous reconduire à cette salle et nous ramener à l’hôtel à la fin de la soirée.

Un soir, l’hôtel a passé un coup de fil à la salle, car notre spectacle finissait à 2 h du matin, pour dire d’attendre sur place et que toutes nos affaires nous seraient livrées avant de nous escorter vers un appartement. Quel choc ! Comment pouvaient-ils vider nos chambres aussi rapidement ? Et en notre absence ? Nous étions inquiets au sujet de nos biens placés en sécurité dans des coffres-forts, alors nous nous sommes tous rendus à l’hôtel en taxi.

Des agents de sécurité se trouvaient dans le foyer de l’hôtel, mais nous étions pacifiques. Après une longue attente, le propriétaire de l’hôtel s’est présenté et nous a expliqué que l’hôtel avait été surréservé en raison du Dubai Shopping Festival — littéralement un festival du magasinge pour gens riches — et ils avaient besoin de nos chambres.

C’est au moment où le leader du groupe a demandé à ce que l’on nous remette nos précieux biens que les choses se sont envenimées. Certains d’entre nous avons réussi à nous faufiler afin d’aller vérifier si nos clés de chambres fonctionnaient toujours. La mienne n’a pas fonctionné, mais celle de notre batteur, oui, et il a trouvé un homme endormi dans ce qui était sa chambre, en principe. J’ai vraiment commencé à m’inquiéter : qu’était-il arrivé avec tout cet argent comptant que j’épargnais pour enregistrer mon album ? Et mon billet d’avion ? Et mon passeport ?

Dans le foyer, les tractations se poursuivaient, et je me suis dirigé vers la réception afin de leur demander s’ils avaient les numéros de téléphone des consulats locaux. Ils me les ont donnés et il était environ 3 h du matin lorsque j’ai composé un numéro. Une personne m’a répondu, mais elle était à Ottawa, où il était huit heures plus tard qu’à Dubai. J’avais composé la ligne d’urgence de notre capitale nationale pour les Canadiens à l’étranger. J’ai résumé la situation et le représentant à l’autre bout du fil m’a dit qu’il aviserait le consul général du Canada à Dubai dès qu’il le pourrait ce matin. J’ai griffonné le numéro de téléphone et j’ai caché le bout de papier dans ma chaussure.

L’hôtel a alors déclaré que ce différend allait se régler au poste de police. Des fourgonnettes sont aussitôt apparues devant l’entrée de l’établissement. Nous avons d’abord refusé d’y monter, mais il est rapidement devenu apparent que nous n’avions pas le choix. En chemin, nous vivions un étrange mélange d’indignation et de peur tout en nous racontant des blagues au sujet de la prison d’Alcatraz.

Mes cinq compagnons ont été placés dans une cellule tous ensemble et j’ai été placée dans une cellule pour les femmes. Elle faisait environ 10 mètres carrés avec un plancher en béton, un banc sur l’un des murs et un gros seau au milieu pour y faire nos besoins. Il y avait cinq prostituées avec moi.

J’étais en sueur, épuisée, affamée et effrayée, mais j’avais encore ce numéro de téléphone. À l’instar des polars d’antan, un vieux téléphone trônait sur l’un des murs. J’ai composé le numéro à Ottawa et on m’a répondu. Le même représentant que plus tôt m’a dit être sous le choc de la rapidité à laquelle les choses s’étaient détériorées et il m’a demandé d’être patiente pendant qu’il contactait le consul général qui viendrait nous libérer.

Il est arrivé vers 6 h du matin. Nous entendions des tractations en anglais et en arabe à l’autre bout du couloir. Vers 8 h, on nous a dirigés, échevelés et stressés, vers une salle d’attente. Le consul général nous a remis un document que nous devions tous signer. On nous a expliqué que ce document était une déclaration que nous « acceptons de ne plus jamais mal nous comporter à Dubai ». Nous avons hésité un instant, mais nous l’avons signé. Tout ce que nous voulions, c’est sortir de là, nous laver, manger et dormir. Nous devions quand même monter sur scène ce soir-là.

Le consul général nous a escortés jusqu’au garage souterrain de l’hôtel où un représentant nous a remis un sac poubelle avec nos affaires et une enveloppe avec nos papiers et nos devises. Nous devions compter l’argent, vérifier nos documents et signer une décharge.

On nous a ensuite reconduits dans un complexe d’appartements miteux avant de nous remettre les clés d’un appartement avec deux chambres à coucher et une salle de bain. Pendant que les hommes s’obstinaient au sujet des lits, je me suis effondrée sur le canapé. Quand je suis arrivée à la salle de spectacle ce soir-là, j’ai été à la rencontre de gens responsables de l’hospitalité et fait valoir un besoin de vie privée qui, je le savais, toucherait certaines de leurs cordes sensibles culturelles. J’ai fait valoir qu’une femme seule dans un appartement avec plusieurs hommes « qui ne sont pas mon mari » mettrait ma réputation à risque. Soyons francs, j’ai tourné avec des hommes pendant des années. Mais l’instinct de survie peut nous faire faire des choses étranges. Ils m’ont offert une chambre individuelle.

Une fois le dernier mois de ce contrat achevé, de retour au bercail, j’avais hâte de travailler sur mon album. La préproduction de mon album a été cathartique. Par contre, il m’a fallu trois mois de réadaptation afin de retrouver ma voix d’avant cette mésaventure.

Et j’ai classé cette triste expérience dans le dossier : ce qu’il ne faut pas faire afin de financer un album.

Les salles de spectacle doivent offrir des boissons non alcoolisées

publié 07/11/2019

Par Damhnait Doyle

Une version plus courte de ce billet de blogue écrit par Damhnait Doyle, membre du conseil d’administration de la SOCAN, a été publiée sur le site Web du Toronto Star le 10 juillet 2019 ainsi que dans la version imprimée du quotidien le 11 juillet 2019. En voici la version intégrale.

J’ai commencé à boire quand j’ai commencé à œuvrer dans l’industrie de la musique.

J’étais une jeune fille de Terre-Neuve incroyablement timide et introvertie à peine sortie de l’école catholique qui s’est retrouvée dans les rues de Toronto. J’étais jeune, naïve et entourée de gens que j’admirais et idolâtrais depuis toujours. J’avais le syndrome de l’imposteur.

Mon premier simple a été un succès instantané et du jour au lendemain, mon vidéoclip tournait plusieurs fois par jour à MuchMusic. J’étais habitée d’une profonde anxiété. C’est ce qui arrive lorsque votre plus grande peur est que les gens vous regardent et que vous gagnez votre vie en montant sur scène. J’étais tellement nerveuse que j’ai vomi dans une chaudière dans les coulisses de mon premier spectacle comme tête d’affiche (l’alcool n’y était pour rien). Peu de temps après, quelqu’un m’a payé un verre de téquila avant de monter sur scène, et boum ! Je venais de trouver le courage sous forme liquide. Soudainement, ma peur s’était transformée en adrénaline. J’avais trouvé la solution.

Les musiciens ne boivent pas comme les gens ordinaires. On boit avant, pendant et après nos spectacles, quand on est en congé, quand on se déplace, au bar de l’aéroport, au bar de l’hôtel, dans l’autobus, à l’arrière de notre fourgonnette, on boit quand notre spectacle est pourri, quand notre spectacle est génial, quand notre chanson joue à la radio, quand notre chanson ne joue pas à la radio, quand on est au-dessus de tout ou quand on se fait arrêter. Dans les cercles musicaux, l’alcool est à la fois le voyage et la destination.

Quand on boit, on ne sent rend pas compte que l’alcool est un voile qui étouffe notre intuition. Votre corps a beau crier « Qu’est-ce que tu fais, bordel ? Arrête de boire ! » mais votre cerveau vous dit « Wow, mon voile adore ce Rioja ». L’alcool coupe la communication entre votre cerveau, votre corps et votre esprit. Et lorsque l’on souffre de dépression et d’anxiété, comme c’est le cas de tant que créateurs, l’alcool qui vous donne l’impression d’avoir un peu plus de contrôle sur cette anxiété est en fait en train de construire un véritable bûcher autour de votre corps. Rajoutez à ça trois semaines d’innombrables heures sur la route et rien d’autre que de la bouffe de Tim Horton’s, et vous avez un désastre imminent.

J’ai pris conscience il y a environ un an que l’alcool ne m’apportait plus rien de bon. C’était assez. Jamais auparavant je n’avais entrevu cela comme une option. Sur papier, tout allait bien. Les gens me disaient « mais pourquoi arrêterais-tu de boire, je bois bien plus que toi. » C’est comme si la société nous disait que les seules raisons valides d’arrêter de boire sont le fait de se faire jeter en prison ou arrêter pour conduite avec facultés affaiblies. Mais la sobriété commence à prendre du galon. Il y a une prise de conscience collective qu’on n’a pas à boire parce qu’on a toujours bu et parce que tout le monde boit encore.

J’écris ces lignes parce que je n’ai pas vu beaucoup de gens en parler autour de moi, et chaque fois que quelqu’un en parlait, j’étais ravie. Il y a plein de musiciens sobres et très cool, croyez-moi. Je le sais parce que j’ai « googlé » cette phrase des centaines de fois depuis août 2018. Ça aide beaucoup de savoir qu’on n’est pas seul, alors j’ajoute ma voix à la chorale pour qu’elle se fasse entendre encore plus.

Outre fonder une famille, arrêter de boire a été, et de loin, l’une des meilleures choses que j’ai faites de me vie. Et je vous rappelle que j’ai chanté « Will the Circle Be Unbroken » avec Willie Nelson chaque soir pendant deux semaines en compagnie de mon groupe Shaye. Ne pas boire, c’est génial.

Je ne mentirai pas, j’ai trouvé ça très du d’arrêter.

Il a fallu que je refasse toutes les connexions nerveuses et sociales de mon cerveau. Premier spectacle sans boire, première conférence sans boire, premier voyage d’écriture sans boire, première session en studio sans boire. Il faut beaucoup de courage et de détermination pour contrer l’automatisme de boire. Je ne peux pas imaginer le combat quotidien des musiciens qui luttent contre de vraies dépendances aux drogues dures et à l’alcool. Ils doivent travailler constamment entourés des choses qui menacent leur vie même.

Je ne connais aucun autre métier où il est permis de boire tout l’alcool — gratuit, gratuit, GRATUIT ! – qu’il nous plaît, mais qu’on s’attend à ce que vous buviez, dans une certaine mesure. Malgré tout, ce fut un choc, quand j’ai arrêté de boire, de constater à quel point il y a peu d’options non alcoolisées (non, l’eau et les boissons gazeuses ne comptent pas) dans les bars et les salles de spectacle du Canada. Je crois qu’il devrait y avoir une bonne option non alcoolisée partout où les musiciens se rendent pour travailler – et oui il s’agit d’un travail, même si pour vous c’est le soir, vous vous amusez et c’est votre groupe préféré. Parfois, on a seulement envie d’avoir quelque chose dans la main qui nous permet de nous fondre dans la foule sans avoir à expliquer pourquoi on ne boit pas. Et n’oublions pas que les bières non alcoolisées sont délicieuses, goûtent exactement comme une bière normale, n’ont que 30 calories et ne vous donneront ni une gueule de bois ni une bedaine de bière.

Par ailleurs, la marge de profit des bières NA est la même, sinon plus élevée, que celle des bières normales. Les salles de spectacles et les bars n’ont besoin d’en stocker qu’une seule rangée, une seule. Je ne dis pas qu’elles devraient être le même prix que les autres bières, mais je ne m’en plaindrai pas si cela signifie que j’ai cette option.

On a parlé de l’aspect santé mentale et dépendance, mais il y a aussi l’aspect #metoo. Le mouvement #metoo a démontré avec éloquence que ne rien faire au sujet de quelque chose d’aussi horrible, ça pourrit, et si on n’agit pas rapidement, on se désintègre. Heureusement, notre industrie a ouvert le dialogue sur cette question : comment pouvons-nous réparer les choses et les prévenir afin que cela ne se reproduise plus ? Il faut regarder les faits et admettre qu’il y a un fil conducteur derrière tout ça : l’alcool. Près de 50 pour cent des agressions sexuelles comportent une quantité excessive d’alcool. On ne peut pas forcer les gens à ne boire qu’une certaine quantité d’alcool ou à agir d’une certaine façon, mais en offrant au moins une option non alcoolisée, les statistiques sur les agressions sexuelles n’augmenteront pas.

Je tiens à remercier Allan Reid, de la CARAS, et l’équipe de la SOCAN qui se sont assurés d’offrir des breuvages non alcoolisés lors des galas des prix JUNO et SOCAN, cette année. Ça peut sembler minime, mais ça crée un effet d’entraînement. J’aimerais que nous, de l’industrie, nous regroupions afin de nous assurer que tous les festivals, clubs, bars, et tous les autres endroits où les musiciens se rendent pour travailler offrent une option non alcoolisée. D’ici là, je vais continuer à faufiler mes bières NA dans les bars afin d’y avoir encore plus de plaisir qu’auparavant.