Nous devrions soutenir les services de diffusion continue de musique

publié 10/9/2014

Par Eric Baptiste

Vous serez peut-être surpris : j’accueille favorablement les services de musique en diffusion continue de tous genres et je suis prêt à soutenir tous les services canadiens et internationaux afin qu’ils se développent ici au Canada.

Mais à une condition : ils doivent rémunérer équitablement tous les créateurs et autres ayants droit, fournisseurs essentiels de la musique qui est vitale à leur entreprise.

Oui, tous les créateurs et ayants droit, dont les auteurs, les compositeurs et les éditeurs de musique, ainsi que les maisons de disques et les artistes qu’elles représentent.

La musique a une valeur, tant pour les consommateurs individuels que pour les entreprises. Comme le président d’ASCAP Paul Williams l’a si bien souligné, « La littérature, la musique et les arts ont une valeur pour les individus, les entreprises et les pays. Ils ouvrent nos cœurs et nos esprits. Ils inspirent. Ils enseignent. Ils rassurent. Ils motivent la croissance économique et l’innovation. Ils définissent notre temps, nos cultures. Ils nous rapprochent les uns des autres. »

Le droit d’auteur soutient cette valeur. Il aide les créateurs de musique à gagner dignement leur vie en écrivant des chansons et en composant de la musique et des œuvres audiovisuelles pour le cinéma et la télévision. Le droit d’auteur est ce qui permet aux auteurs-compositeurs de gagner de l’argent pour l’exécution publique de leur musique. Il permet aux membres de la SOCAN de mener une carrière de création musicale, voire même florissante… et, surtout, de continuer à créer.

Mais aujourd’hui, lorsque la musique est diffusée en continu sur Internet – de plus en plus, la forme préférée des auditeurs – les auteurs-compositeurs sont grandement sous-payés pour la musique qu’ils créent. Nous avons tous lu des articles au sujet d’auteurs-compositeurs qui gagnent des fractions de millième de cent sur chaque diffusion en continu ou une somme dérisoire pour plus d’un million d’écoutes.

Il y a plusieurs raisons à cela. Au Canada, l’une d’elles est que, malgré tous les efforts pour mettre au point un cadre de travail qui aurait pu permettre aux services de musique en continu de faire rapidement leur entrée sur le marché, ceux-ci ont mis du temps à arriver. Rappelez-vous également que les services de diffusion continue doivent disposer d’un certain nombre de droits pour exercer leurs activités en toute légalité dans n’importe quel pays. Au Canada, deux facteurs posent un défi à la diffusion en continu : les plafonds d’utilisation des fournisseurs d’accès Internet qui n’existent plus dans les autres pays ou qui sont bien inférieurs au Canada qu’ailleurs, et les coûts de la bande passante, bien supérieurs ici que dans des pays comparables.

D’autres facteurs ne sont pas particuliers au Canada et reflètent la taille économique relativement petite des services de diffusion continue en comparaison des stations de radio et de télévision, établies depuis plusieurs dizaines d’années.

Quels que soient les chiffres, ces nouveaux services sont dominés par les entreprises bien plus vastes que sont les médias traditionnels tels que la télé et la radio. Le seul vecteur sur lequel les services de diffusion continue semblent exceller est la valorisation de leur entreprise sur le marché des capitaux, et ce n’est pas une activité sur laquelle nous pouvons appliquer des redevances. Et c’est très préoccupant pour l’avenir.

De nombreuses personnes ne réalisent pas que lorsqu’une station de radio dans un grand marché fait jouer une fois une chanson, cette simple diffusion peut fort bien rejoindre des centaines de milliers d’auditeurs d’un seul coup. La valeur économique d’une telle mise en ondes, qui rejoint simultanément des milliers de personnes, ne peut se comparer simplement à la valeur d’une unique diffusion sur demande, qui ne rejoint qu’une seule personne. C’est un point essentiel souvent négligé.

Enfin, le partage des redevances entre plusieurs ayants droit tend, dans la plupart des pays, à favoriser exagérément les maisons de disques et, dans une moindre mesure, les interprètes, plutôt que les créateurs et leurs éditeurs. Dans bien des cas, ce partage est de 80 % contre 20 %, respectivement.

Alors que je sympathise avec Ré : Sonne et Music Canada sur le peu de valeur qu’accorde à leurs droits la récente décision de la Commission du droit d’auteur du Canada au sujet du tarif 8, la Commission a tout à fait raison de poursuivre son approche de longue date, confirmée par les tribunaux, que les valeurs relatives des droits des créateurs et de leurs éditeurs (les « droits des auteurs »), d’une part, et ceux des maisons de disques et des interprètes (« les droits voisins »), d’autre part, sont généralement égaux. Dans l’écosystème musical, la source de la musique est représentée par deux groupes distincts, quoique d’égale importance : les auteurs, les compositeurs et les éditeurs qui sont à l’origine de la musique, et les interprètes ainsi que les maisons de disques qui jouent un rôle fondamental dans sa mise en marché. De plus en plus de gens s’entendent sur cette description tout à fait juste de la façon dont la musique fait son chemin dans la société.

Nous devrions tous souhaiter une rémunération équitable pour tous ceux qui participent à la création et à l’exécution de la musique. Nous voulons travailler ensemble avec les producteurs de disques et les plates-formes numériques de diffusion en continu qui n’existeraient pas sans la musique créée par les membres des organisations de droits musicaux des quatre coins du monde. Nous voulons créer une situation mutuellement gagnante pour ceux qui diffusent de la musique en continu, ceux qui la créent, ceux qui l’enregistrent et ceux qui l’écoutent.

Une rémunération équitable pour la diffusion en continu sera éventuellement mise en place. Après tout, nous avons réussi à régir avec nos licences les droits de tous les nouveaux systèmes de distribution de musique qui ont été jusqu’à maintenant inventés, de la radio à la télévision, en passant par le câble et le satellite. La diffusion continue en ligne n’est que le dernier rejeton de cette lignée et nous devrons travailler à l’établissement d’une rémunération équitable avec ces services, tout comme nous l’avons fait auparavant avec d’autres médias. Les problèmes actuels seront éventuellement résolus, tout comme d’autres l’ont été avant.

Toutefois, le succès économique éventuel des services de diffusion en continu échappe à notre contrôle. Le nombre d’abonnés payants compte. L’étendue des revenus publicitaires qu’ils génèrent au moyen d’offres de base gratuites compte aussi. Ces revenus sont encore très peu élevés aujourd’hui et, même avec le meilleur partage qui soit entre les ayants droit dans le monde et l’application de tarifs plus élevés sur les revenus des services de diffusion continue, la rémunération totale payée aux ayants droit demeurera modeste à moins que leurs résultats économiques fondamentaux s’améliorent.

Une rémunération équitable pour la diffusion continue en ligne est la grande priorité où que l’on regarde. La survie des créateurs de musique repose sur les solutions qui leur permettront de vivre correctement de l’exploitation de leur travail par les entreprises de diffusion continue dont le produit principal est la musique. Les chansons et les compositions sont les moteurs d’activités qui génèrent d’énormes revenus pour ces grandes entreprises de diffusion. Les créateurs de musique doivent donc être rémunérés équitablement.

Il faut appuyer l’innovation technologique, mais nous ne pouvons embrasser entièrement de tels progrès que s’ils permettent aux créateurs de musique de s’épanouir aux côtés des nouvelles plates-formes qui diffusent leurs œuvres.

Au sujet de Eric Baptiste

Eric Baptiste est chef de la direction de la SOCAN. À ce titre, il dirige un personnel de près de 300 membres d’un océan à l’autre en relation avec 115 000 auteurs, compositeurs et éditeurs de musique canadiens membres de la SOCAN et plus de trois millions de leurs collègues à travers le monde, et avec plus de 125 000 entreprises canadiennes qui dépendent de la musique pour améliorer leurs activités. Né en France, Eric, avant de joindre la SOCAN en 2010, a dirigé pendant 12 ans la CISAC, la Confédération internationale des sociétés d’auteurs et compositeurs, a travaillé huit ans dans le domaine de la radio à titre de chef de l’exploitation de Radio France Internationale, puis a été chef de la direction d’une station commerciale de Paris. Eric a présidé des associations du secteur de la musique et de la radio en France, et siège actuellement au conseil de plusieurs organisations telles que la CISAC et la SCPCP, préside l’Agence internationale ISAN à Genève ainsi que Radio Néo, un réseau de radio français non-commercial consacré aux artistes émergents. En tant que diplômé de l’École nationale d’administration, et ayant débuté sa vie professionnelle au Conseil d’État à Paris, il aurait pu devenir un haut fonctionnaire du gouvernement ou même avocat, mais c’est une toute autre histoire, dans un univers parallèle… Eric vit à Toronto et est un passionné de musique (bien sûr), de fine cuisine, de bons vins et de science-fiction.

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